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La petite annonce

LA PETITE ANNONCE FAITE À MARIE-THÉRÈSE

 

… Fais du feu dans la cheminée

Je reviens chez nous …

                   Jean-Pierre Ferland

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          Marie-Thérèse se sent bien seule en remplissant jusqu’à la gueule la cuisinière où sont posées des tartines de pain grillé. Balafrée par la tristesse, elle exécute machinalement les quelques tâches ménagères qui ponctuent les heures occupées à ressasser ses regrets et ses colères. L’atmosphère glauque et confinée de la pièce enrobe ses gestes mécaniques effectués avec lassitude. Le rougeoiement du charbon agacé par le tisonnier dessine des ombres qui s’entrelacent le long des murs à la peinture écaillée.

 

     Le village s’endort doucement, bercé par les bruissements familiers de la vie nocturne emplissant les sous-bois. Les rêves se font dociles. 

 

     Monsieur Henri a dans la tête la quête d’une nouvelle conquête. Il a horreur de laisser refroidir ses grandes ardeurs indomptables. La solitude momentanée lui pèse et son esprit se met à vagabonder ; les fantômes de ses souvenirs émaillent sa soirée en solitaire. Le tic-tac de la pendule déchirant le silence l’oppresse. Soudainement, il se dirige d’un pas alerte vers le buffet de la salle à manger, prend une feuille de papier, son encrier et une plume ; fébrile, il se met à écrire. Demain il fera encore une fois passer une annonce matrimoniale dans le journal.

 

* * * * * * *

 

     Marie-Thérèse, le visage d’une blancheur extrême, est prostrée devant son lit vide. Elle a le cœur noyé à force de se retrouver comme chaque soir dans cette grande maison sans personne à ses côtés. Ankylosée dans ses pensées blafardes, elle a la tête envahie par ses désillusions profondes. Elle laisse la mélancolie, la serrant dans son carcan, s’installer sur son âme blessée. Des cortèges de rêves éphémères peuplent son insomnie, balafrant sa souffrance chronique. Elle en a plus qu’assez des amants bien trop passagers. En pensant à ses amours dérisoires et tarifées, quelques larmes s’échappent de ses yeux délavés. Sa décision a été prise il n’y a pas bien longtemps, elle ne vend  plus son corps, elle veut trouver quelqu’un pour fonder un foyer.

 

     La vie renaît après la parenthèse des sommeils peuplés de chimères. La réalité revient à tire d’ailes se poser sur les toitures luisantes.       

 

     Monsieur Henri s’évade dans ses songes familiers en battant la campagne. Dans la pénombre finissante, il suit le cortège de ses souvenirs chaleureux, perforant de son haleine le petit matin pluvieux où les dernières fumées de l’aube se désagrègent. Depuis quelques temps, il s’impatiente dans  sa  recherche  ardente d’une  belle innocente  pour calmer  son  appétit féroce mais l’instinct de  prudence le submerge. Il craint malgré tout de tomber sur un os. Pour se changer les idées, il décide de se préparer un de ces bons petits plats dont il a le secret. Il est en effet un excellent cordon bleu, grand amateur de préparations culinaires recherchées.

 

* * * * * * *

 

     Marie-Thérèse, dans sa cuisine, prostrée devant une boite de sardines laisse dégouliner ces heures moroses de cette vie lyophilisée où elle s’enlise, le cœur en transhumance. Le journal du jour est posé devant elle sur la table aux carreaux émaillés. Elle épluche avec application les petites annonces dans l’espoir de trouver celle qui lui permettra de vivre cette rencontre tant espérée. Mais voici que, tout à coup, une d’entre elles lui fait signe ;  fébrilement, elle prépare une réponse.

 

     Dehors le soleil brille mais ses timides rayons hivernaux ne réchauffent pas les oiseaux qui cherchent des brindilles pour construire leurs nids. 

 

     Monsieur Henri, assis tout prés de ses fourneaux, aiguise ses couteaux. La préparation d’une daube le fait saliver d’abondance. Il est en effet un fin gourmet ; la réussite de son plat favori le met dans un état d’excitation intense. La lueur de l’âtre se projette en reflets sur le cuivre des casseroles encombrant la table où il travaille avec application. Mais voici que le facteur s’annonce pour lui remettre une lettre. La bonne nouvelle qu’elle contient fait passer au second plan la recette. Monsieur Henri ne se sent plus de joie… Son cerveau fait des étincelles ! …

 

* * * * * * *

 

     Marie-Thérèse est sur des charbons ardents ! L’heure du rendez-vous approche, elle a un peu peur de découvrir cet inconnu qui lui a envoyé une lettre enflammée ; elle s’imagine déjà accrochée à son bras, se promenant, fière, tout en devinant le regard envieux des passants. Elle sent qu’elle remonte la pente en se précipitant bien en avance à l’endroit de la rencontre. Elle vibre d’une fièvre sous-jacente qui lui donne des ailes et ne semble pas affectée par la morsure du vent glacé fouettant  son visage.

 

      Dans ce parc livré aux badauds, le temps semble tourner au ralenti. La gaieté des colporteurs et des vendeurs de marrons chauds se mêle aux sourires des couples enlacés  et aux enfants courant dans les allées.  

 

     Monsieur Henri, en découvrant les yeux de braise de la convoitée, a le cœur comme une fournaise. S’échappant du volcan qui secoue ses entrailles, la lave incandescente de son désir s’écoule en lui. Tout feu tout flamme, il se consume pour la belle dame et use de son charme hypnotique pour gagner ses faveurs. Grisé par cette charmante découverte, il met les bouchées doubles pour conquérir cette proie facile qui s’offre à lui et use d’élégante façon de son charme flamboyant. Ses gestes sont empreints de la grâce féline du prédateur fondant sur sa proie. Sa faconde naturelle est sublimée par ce langage raffiné dont il connaît le maniement à la perfection ; des mots de velours s’écoulent de ses lèvres, enrobant avec éclat la conversation.

 

* * * * * * *

 

     Marie-Thérèse ne se sent plus de joie et succombe devant cet homme à l’allure plaisante. Le feu aux joues, elle se laisse séduire avec volupté, essuyant machinalement la buée se formant sur ses verres à double foyer. Une chaleur intense envahit son corps, éliminant le glacier qui s’était installée sur son cœur en jachère.

 

     Elle ne se doute pas qu’elle va connaître à tout jamais les joies de l’amour carbonisé ! …

 

     En 1919, Marie-Thérèse Marchadier rencontra un certain Henri Désiré Landru. Elle ne s’en remit pas !…

     Lui non plus ! …

 

Bernard Pichardie

Marseille, janvier 1999

Nouvelle tirée du recueil Nouvelles FraÎches
 

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