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ITE MISSA EST
 

          « Ite Missa Est. »

La messe se termine. Les paroissiens quittent l’église dans un ordre dispersé, sans se presser avec le sentiment d’avoir fait leur devoir de bon chrétien. Une seule personne reste un moment, le regard tourné vers la chaire puis vers la statuette de Saint Jean-Marie Vianney, le bon curé d’Ars, né le 8 mai 1786 et décédé le 4 août 1859 dans la commune d’Ars, (Ars-en-Dombes, devenu par la suite Ars-sur-Formans). Pendant quarante et un ans, il servit Dieu et ses ouailles avec beaucoup d’humilité et de dévouement. Il donnait aux pauvres le peu qu’il avait…

Romain reste là, sans bouger, il contemple le saint qu’il vénère avec beaucoup d’attention, une clarté transperce un vitrail et vient percuter son visage d’une belle douceur.

 

          « Vous souhaitez me voir ? »

Romain, perdu dans ses pensées fait semblant d’être surpris par cette question qui trouble le silence du lieu.

« Non, mon père, j’aime l’ambiance feutrée et la pénombre quand la messe est terminée et je pars dans ma rêverie en regardant le curé d’Ars.

Un grand saint.

-     Exact !... J’ai lu sa vie par l’abbé Alfred Monnin paru en 1864, j’ai la réédition de 1905.

-     Il y a un film en noir et blanc, datant de 1949, de René Jolivet réalisé par Marc Blistène sur sa vie.

-     Je l’ai en DVD, Le sorcier du ciel.

-     Oui, mais vous connaissez bien le sujet. Je peux vous montrer des documents si cela vous intéresse.

-     D’accord, mais pas aujourd’hui, je dois me rendre à un rendez-vous. Quand puis-je repasser ?

-     Demain vers 17H30, je serai disponible.

-     Moi aussi, bonne journée mon Père.

-     Bonne journée mon fils, à demain… »

 

          Dix jours avant, à Saint Fiel, petite commune à côté de Guéret dans le département de la Creuse.

      « Ma chérie, je repars pour au moins un mois.

-     Je suppose que ça va te servir pour ton avancement.

-     Peut-être, mon travail me permet d’avoir un excellent salaire.

-     Et chaque fois, tu ne me dis pas grand-chose !

-     C’est vrai mais tu sais bien que c’est « Top Secret », même les enfants ne doivent pas se douter que je suis au service du gouvernement. Tu leur feras la bise au retour de l’école et si les voisins te demandent si je pars encore longtemps…

-     Je leur dis comme d’habitude que tu prospectes pour ta société… »

Romain et sa femme Noémie ont choisi ce petit coin tranquille. Une jolie maison, un grand jardin et pour l’instant, l’école primaire pour Chloé et Mathias. Le temps viendra où ils devront faire un autre choix en fonction des études de leurs enfants… Ce n’est pas pour tout de suite ! 

 

          Romain retourne chez lui, il a beaucoup de travail pour se préparer à l’entrevue. Encore de la lecture et des visionnages de documentaires sur Saint Jean-Marie Vianney. Plus il en saura, plus il se rapprochera du curé. Il doit pouvoir l’appâter, le convaincre, l’amadouer. Devenir presqu’un ami de confiance. Il va très certainement mettre un certain temps mais il a carte blanche…

Il s’est trouvé une nouvelle identité, pour le plaisir de se composer un personnage mais aussi pour le travail qu’on lui a commandé.

Plus de minuit, il décide de sortir. Il aime la nuit et ses ombres mouvantes quand les fantômes de ses rêves se glissent près de lui, l’enveloppant de leur aura. Il se sent bien dans l’obscurité propice aux ondes qui se dégagent et le tiennent en haleine. Il n’a jamais eu peur de ces êtres impalpables, bien au contraire, ils lui tiennent compagnie et lui font plaisir. Il n’y a aucune conversation, aucun échange, juste quelques souffles qui le hantent et l’enchantent. Il ne se sent pas vraiment passif mais plutôt en attente de se recharger le cœur et l’esprit.

Il se demande parfois s’il peut y avoir une certaine connivence avec les spectres de la nuit mais il n’a pas su trouver la réponse. L’immatérialité le dépasse un peu ! Au petit matin, il retrouve la chambre qu’il loue depuis une semaine, il n’y restera pas longtemps… Au moins deux mois, quand même ! Juste le temps de poursuivre et terminer la tâche pour laquelle il est grassement payé ; ensuite, il retrouvera sa maison, bien loin d’ici…

 

          « Bonjour mon Père.

-     Bonjour. Ah ! Vous voici… Suivez-moi, nous passons par la sacristie. »

Ils traversent la pièce relativement petite contenant une armoire et un meuble bas où sont alignés des burettes, un calice, un ciboire, une patène recouverte de quelques hosties et d’autres objets nécessaires pour la célébration de la messe que Romain ne connaît pas. Ils franchissent une porte pour accéder à l’entrée du presbytère donnant sur une cuisine à l’aménagement assez moderne.

« Voulez-vous boire quelque chose ?

-     Non merci.

-     Bon, alors allons directement dans mon bureau.

-     Oh ! Mais, il est bien aménagé !

-     Oui, j’ai eu un gros héritage et j’ai pu me permettre l’achat de beaux meubles comme pour la cuisine. Par contre la chambre et la salle de bains de mon prédécesseur sont restées inchangées. J’ai également donné une grande partie pour les pauvres, cela va de soi ! »

Pendant plus d’une heure, ils parlent de la vie du Curé d’Ars mais également de beaucoup d’autres choses liées à la religion.

 

          « Bonsoir, les premières parties de ma mission sont accomplies. J’ai commencé à être un de ses proches.

-     Parfait, il faut aller plus loin et le mettre en confiance.

-     Je dois le revoir encore une fois demain.

-     Excellent !... Mais n’allez pas trop vite, il pourrait avoir des soupçons.

-     Ne vous inquiétez pas, je maîtrise, je vais prendre mon temps.

-     Je connais votre sens de la perfection. Tenez-nous au courant au jour le jour.

-     Pas de problème !... »

 

          Un nouveau rendez-vous est pris, petit à petit Julien gagne la confiance du prêtre, il en profite pour vérifier les systèmes d’alarme. Ils sont assez importants par rapport au lieu, il est certain de pouvoir les contourner, il lui reste à vérifier la chambre mais comment faire ?

Juste quelques gouttes dans le café de son invité.

 

          « Que s’est t-il passé ?

-     Vous avez eu un malaise, je vous ai porté jusqu’à votre lit.

-     Je vous remercie.

-     Voulez-vous que j’appelle un médecin ?

-     Non, je me sens déjà mieux.

-     Je vais vous laisser, si vous avez besoin de moi, vous pouvez m’appeler, je ne serai pas loin… »

La visite de la chambre à coucher fut brève mais instructive. Julien a mis, discrètement programmé, un mouchard sur la caméra braquée vers le lit, il lui reste à  trouver l’occasion de déclencher la phase finale.

      

          Un dernier prétexte pour se retrouver, l’idée est de se rendre à un séminaire d’échanges, de prières et de recueillement ; la proposition est faite par le curé qui pense que Julien est enthousiaste pour cette journée. Le prédateur se présente devant l’église… Sa proie est prête ! Ils s’installent dans sa voiture et c’est à ce moment-là que…

« Votre regard est étrange. Que voulez-vous ?

-     Mon père, je veux vous libérer.

-     De quoi ?

-     Du mal… Je veux vous délivrer du mal. »

Sortis de la pochette, deux ustensiles de boucher brillent. La lune se reflète en lueurs poétiques sur l’acier bleuté.

Tout d’abord, la feuille plate, froide, lugubre s’immisce dans sa main droite. Un coup sec sur le cou. La tête se détache en émettant un glouglou tendre à la musicalité envoûtante.

Il ne faut pas laisser l’homme de foi dans cet état.

Deuxième opération.

La feuille de boucher est déposée délicatement sur la banquette arrière. Un désosseur effilé la remplace et se rapproche de la colonne vertébrale en une chorégraphie légère.

 

          Quelques instants plus tard, tandis que les rumeurs nocturnes s’échappent en mille chuchotements graciles, recouvrant de leur haleine le corps démantibulé, une silhouette s’éloigne.

« N’ALLEZ PAS EN PAIX MON PÈRE »…

* * * * * * * * * * * * * *

 

          … Alertée par un appel, la Police découvre le corps de l’abbé dans sa voiture, la tête tranchée et le dos tailladé. Des documents envoyés de façon anonyme et une perquisition à son domicile ont permis de découvrir son implication dans un réseau pédophile.

Pour l’instant, rien n’a été confirmé du côté du Préfet ni de l’Archevêché.

L’enquête ne fait que commencer…

 

          À la Préfecture de Police de Guéret, Noémie est convoquée.

« Bonjour Madame Mounet, suite à votre déposition concernant la disparition de votre mari depuis plus de six mois, nous avons effectué des recherches.

-     Ça fait plus d’un mois que j’ai commencé à signaler qu’il n’était pas revenu à la maison.

-     Oui, vous nous avez communiqué tous les renseignements et documents en votre possession mais c’est étrange, nous ne trouvons pas trace de Romain Mounet.

-     Il me disait qu’il travaillait pour le Gouvernement !

-     C’est faux ! Il n’appartient à aucun service gouvernemental et n’a jamais été employé dans un ministère à titre officiel ou secret.

-     Je n’y comprends rien !

-     Nous avons épluché votre compte bancaire, régulièrement des sommes importantes sont déposées.

-     Oui, chaque fois que mon mari revenait d’une mission, il recevait une très grosse provision sur notre compte. Je n’y touchais presque jamais car il avait également dans une mallette des paquets importants de billets, ça me suffisait pour payer la plupart de mes achats.

-     Et vous ne lui posiez jamais de questions sur la provenance de cet argent ?

-     Non !... Il m’avait fait promettre de ne pas en parler. J’ai tenu ma promesse jusqu’à ce jour où je ne pouvais plus attendre ; j’étais trop inquiète par sa disparition. Habituellement, il ne restait absent pas plus de trois mois.

-     Nous n’avons pas encore réussi à découvrir qui payait votre mari, la société qui l’employait n’est pas française, c’est certain mais nous continuons nos investigations. Il avait également souscrit une assurance-vie.

-     Oui, mais je ne connais pas son montant, je n’ai pas fouillé dans ses papiers.

-     Il serait temps de le faire ! Nous avons beaucoup de renseignements sur ce qu’il vous laisse en cas de décès mais nous allons perquisitionner chez vous.

-     D’accord, si Romain avait des choses à cacher, moi non !... Et vous pouvez fouiller dans son bureau et dans mes affaires sans problème.

-     Merci, nous avons aussi une copie de votre livret de famille. Tout parait correct mais la transparence est plutôt étrange… Nous vous suivons chez vous… »


          Deux mois plus tard…

La petite île grecque d’Ikaria, voisine de Samos et Mykonos, est réputée pour la longévité exceptionnelle de ses habitants. Elle abrite bien plus de nonagénaires et de centenaires que le reste de l’Europe. Aujourd’hui, un corps nu vient d’échouer sur sa plage. Il faudra beaucoup de temps pour que les autorités européennes fassent le rapprochement avec la disparition de Romain Mounet…


Bernard Pichardie

Marseille, juillet et août 2017

 

P. S. En boucherie, une feuille est un outil de la famille des couteaux, sa lame ressemble à une feuille format A5.

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