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LA MINE BUISSONNIÈRE

 

… Au Nord, c’étaient les corons
La terre c’était le charbon
Le ciel c’était l’horizon
Les hommes des mineurs de fond…

Jean Pierre Lang

 

1962

La ducasse

 

                        Voici que les frites dépassent de leur cornet de ducasse et, sur les manèges, quelques rires volent en éclats. Doucement, le soir se plisse derrière les lumières vives des néons dominant les manèges environnés des relents de saveurs sucrées des barbes à papa et des gaufres, des odeurs de la graisse de bœuf et du mélange des effluves de la Gueuze et de la limonade. Devant les auto-tamponneuses, plusieurs familles s’extasient devant les prouesses de leur progéniture.

     Il regarde sa fille, Laurette, qui joue avec Renaud.

     Renaud ! Renaud, dix ans, est né quelques jours après sa mise à la retraite.

 

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1952

De la craie

 

                        De la craie, de la craie…

     De la craie depuis plus de trente cinq ans.

     Sur les doigts, la blouse … Même dans les cheveux. Et cette poussière blanche qui s’infiltre entre chaque latte du parquet, dans chaque rainure des petits bureaux disposés en colonnes égalitaires.

Une vie remplie de tous ces petits instants de bonheurs partagés. Des joies mais aussi, parfois, quelques colères pour des « galopinades ».

Oui, il avait inventé ce mot, certains enfants de sa classe étaient des galopins qui lui jouaient des tours pendables.

     Voici les derniers mots qui s’inscrivent sur le noir du tableau.

Pourquoi a-t-il choisi ces extraits tirés du cahier de morale de la classe ?

Elle lui rappelle des souvenirs, un mélange de peur, d’incompréhension et le secret qu’il garde en lui, cette morsure que le temps n’a pas désagrégée. 

… Il y a la classe, sa famille, et … le reste, le reste … Qui lui encombre la vie depuis son enfance.

 

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1906

Le galibot

 

                        Posé sur la cuisinière, le chaudron fume. Le bouillonnement du linge remplit l’espace de son glougloutement familier. Le jour de lessive est celui des saurés et des pommes de terre au four. Les préparations des petits plats mijotés sont mises de côté pendant les grandes manœuvres …

Pendant ce temps, les hommes sont au charbon. Le père est au fond avec le fils aîné …

     Lui, 13 ans, travaille aussi à la fosse, il aide à pousser ou tirer des berlines dans les galeries trop étroites ou trop basses pour laisser passer les chevaux. Depuis qu’il a eu son certificat d’étude, il s’est fait embaucher comme galibot mais les métiers de la mine ne lui conviennent pas. Il aime lire, s’instruire et parcourir les étendues herbues à la recherche d’insectes, de fleurs, de graines.

     Son maître d’école lui avait conseillé de poursuivre ses études. La mère en parlait sans cesse pendant les repas mais, pour l’instant, le veto paternel faisait loi.
     Jusqu’au jour où tout bascula …

 

     Un sifflement strident lui lacère le cerveau, puis des myriades d’étincelles fulgurantes se déchaînent dans un fatras immonde.

Il perçoit et ressent dans la chair de ses pensées à vif le craquement des os, l’odeur fétide de l’urine, du sang et des excréments des animaux et des hommes.

Il se réveille, trempé d’une mauvaise sueur.

Le cauchemar le colle comme une sangsue. Il a dans la tête toutes ces visions de terreur, de panique ; il imagine tous ces instants remplis de frissons morbides dans les galeries de la mort.

Il a honte de ce qu’il a fait … Et pourtant !  

 

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1906

10 mars 1906

 

                        Vers sept heures du matin, l’annonce de la catastrophe de la Compagnie des mines de Courrières fuse le long des corons, le coup de grisou a touché les fosses 3 de Méricourt, les numéros 4 et 11 de Sallaumines et la 2 de Billy-Montigny

     Voici la remontée.

Le silence des survivants, les frissons des familles venues pour savoir, pour comprendre. Il y a ceux pour qui Dieu n’existe plus, il y a ceux qui ne voient que par lui pour apaiser leurs souffrances.

La vie s’arrête dans toutes les maisons; chacun a un proche ou une connaissance sous terre. Les villages environnants vivent leurs heures de détresse. À Sallaumines, la mère pleure en silence comme de nombreuses voisines. Elles ont toutes un homme, un enfant ou quelqu’un de la famille qu’elles ne reverront pas. Pour l’instant, leur douleur est silencieuse, leurs sentiments sont calfeutrés mais la haine contre les patrons viendra à la surface après les funérailles.

 

     Quelques survivants seront encore retrouvés après vingt jours d’errances dans les galeries ; certains recevront la légion d’honneur … La légion d’horreur.

Un dernier rescapé, Auguste Berthou, sortira du puits numéro 4 après vingt-cinq jours passés dans l’enfer noir.

Puis, des grèves vont éclater, des émeutes vont être réprimées sous l’ordre de Clemenceau qui enverra des troupes, des milliers de gendarmes et de soldats,  pour mater les mineurs criant leur colère contre l’intolérable…

Il y aura ensuite des débats parlementaires avec des contributions des députés des régions minières, Emile Basly et Jean Jaurès.

 

 

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1952

Le cahier de morale

 

                        Le voici devant un cahier, LE cahier.

 

          Soyons obéissants

Obéir, c’est le premier devoir de l’enfant et c’est son intérêt, cela lui évite bien des désagréments. C’est aussi pour lui le meilleur moyen de prouver son affection et sa reconnaissance à ses parents …

 

         Soyons sincères

Rien de plus laid que le mensonge, inspiré toujours par un défaut : paresse,  gourmandise, intérêt, vanité, lâcheté Rien de plus beau que la sincérité et la courageuse franchise…

 

        La conscience

… Si nous avons commis une faute, nous devons avoir du remords… Soyons docile à la voix de notre conscience. Conduisons-nous de telle sorte qu’elle ne nous reproche rien.

        

       Soyons courageux

…  Je serai courageux si je sais résister aux tentations, à la paresse, à la colère, à la violence, à la désobéissance …

 

     Pour la dernière journée d’école avant les grandes vacances et la toute dernière en tant que maître d’école, il a soigneusement choisi les extraits à recopier sur le tableau noir.

 

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1980

Devant le manège

 

                        Nadège et Renaud rient de bon cœur devant les mimiques de Coralie, sa petite fille. Sur le manège où elle est assise dans un carrosse, les chevaux de bois côtoient les vaisseaux spatiaux, les cochons et les voitures de pompiers. Elle est encore trop petite pour se dresser et essayer d’attraper le pompon mais le tournis et la légère vitesse lui procurent ses premiers frissons.

     Il y a 5 ans, il a commencé à écrire ses mémoires, à raconter sa passion pour l’enseignement. Il veut laisser quelques traces à ses petits enfants, des morceaux de lui comme ultime héritage, ce qu’il appelle son patrimoine culturel. Il y aura toute sa vie en raccourci, son enfance calfeutrée entre le pain d’épices et le pâté d’alouette, son adolescence révoltée entre la brume et le houblon, ses amours anciennes puis la femme de sa vie, et sa carrière de maître d’école … Trente cinq ans à éduquer, enseigner, sans chercher à monter dans la hiérarchie de l’enseignement. Il en aurait eu la capacité, mais pas l’envie !

 

     Il y a également le « secret » qu’il a gardé depuis son enfance et qu’il veut livrer avant de mourir.    

 

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1906

10 mars 1906

 

                        10 mars 1906, il est 4 heures du matin, il entend les préparatifs de la journée de travail, les gamelles que la mère apprête pour ses hommes qui vont partir à la fosse et l’odeur du café s’insinue lentement dans la chambre. Aujourd’hui, il n’a pas envie de se lever, les respirations paisibles du plus petit de ses frères ne l’incitent pas à sortir du lit.

Une idée subite lui vient, il va faire semblant d’être malade. Il enfonce deux doigts dans la gorge et vomit. Il dit qu’il a très mal à la tête.

Comme il paraît très fatigué, la mère lui a dit de ne pas aller à la mine. 

 

     Son mensonge va lui permettre de ne pas faire partie des victimes de la tragédie de Courrières.

 

Bernard Pichardie

Beauronne et Marseille   1999 – 2009

texte déposé


Jean Jaurès, dans l’Humanité du 31 mars 1906 écrit : « Toute la vie, toute la personnalité des ouvriers est engagée dans la mine. Elle est pour eux le chantier, le tombeau, le lieu d’épreuve où, pendant des jours et des nuits, ils luttent héroïquement contre la mort. Ils y laissent par centaines des camarades, des amis, des fils, des frères. Le drame de leur vie bouleversée se confond avec la tragique histoire de la mine. Il y a, en chaque galerie profonde, un peu de leur force, un peu de leur douleur, et leur cœur s’y est usé en des battements lents et tristes ou en de brusques sursauts d’angoisse. N’importe : ils n’en possèdent rien ; ils n’ont aucun droit sur elle ; ils peuvent en être chassés demain ; il paraît que la mine n’est pas le prolongement de leur personnalité. Au contraire, en ces galeries tragiques, toute pleine de la vie et de la mort des mineurs, la mine prolonge la personnalité des grands actionnaires dont la vie s’épanouit au loin, sous le clair soleil ... »

j’ai eu l’idée de cette nouvelle en 1999 (quand on vieillit, on a parfois besoin de se rapprocher de ses racines … et de son dentiste ! ! !)

… et je l’ai terminée en 2009 …

mon grand-père maternel était mineur et mon père travaillait aux Houillères du Bassin du Nord-Pas-de-Calais

j’ai vécu à Sallaumines, à côté de Lens jusqu’à 21 ans

 
… voici 3 textes qui sont à la recherche de musiques :
« Terril en la demeure »
http://chantsongs2.eklablog.com/terril-en-la-demeure-a124798306

« Femme de mineur » http://chantsongs2.eklablog.com/femme-de-mineur-a124778894

et « Ducasse » http://chantsongs2.eklablog.com/ducasse-a124801780

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